La question de l’intégration de la marche à pied dans le forfait mobilités durables (FMD) suscite de nombreux débats au sein des entreprises françaises. Alors que ce dispositif, mis en place depuis mai 2020, permet aux employeurs de verser jusqu’à 900 euros par an à leurs salariés utilisant des modes de transport alternatifs, la locomotion pédestre reste officiellement exclue du périmètre d’éligibilité. Cette situation interpelle d’autant plus que la marche représente l’un des modes de déplacement les plus écologiques et bénéfiques pour la santé publique.

Pourtant, les enjeux environnementaux et sanitaires actuels plaident en faveur d’une reconnaissance de la marche comme mode de transport durable. Les entreprises cherchent aujourd’hui des solutions créatives pour contourner cette limitation réglementaire et intégrer la mobilité pédestre dans leurs stratégies RSE. Entre cadre juridique strict et innovation organisationnelle, quelles sont les possibilités réelles d’inclure la marche à pied dans une politique de mobilité durable ?

Cadre légal du forfait mobilité durable et inclusion de la marche à pied

Article L3261-3-1 du code du travail et définition des modes de transport éligibles

L’article L3261-3-1 du Code du travail établit de manière précise les contours du forfait mobilités durables en définissant exhaustivement les modes de transport éligibles. Cette disposition légale, issue de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, vise à encourager l’utilisation de moyens de transport alternatifs à la voiture individuelle thermique . Le législateur a opté pour une approche restrictive en dressant une liste limitative des modes de transport concernés.

Les vélos personnels ou en location, y compris à assistance électrique, constituent le premier pilier de ce dispositif. Le covoiturage, qu’il s’agisse du conducteur ou du passager, figure également parmi les modes privilégiés. Les engins de déplacement personnels motorisés non thermiques, tels que les trottinettes électriques, gyropodes ou monoroues, complètent cette liste. L’autopartage de véhicules à faibles émissions et l’utilisation des transports en commun hors abonnement sont également inclus dans le périmètre d’éligibilité.

Cette énumération légale ne mentionne pas la marche à pied, créant ainsi une zone d’ombre juridique. L’absence de référence explicite à la locomotion pédestre dans le texte de loi soulève des questions d’interprétation que les praticiens du droit social continuent de débattre. Certains juristes estiment que cette omission reflète une volonté délibérée du législateur d’exclure la marche, tandis que d’autres y voient une possibilité d’interprétation extensive.

Décret n°2020-541 du 9 mai 2020 : exclusions explicites de la locomotion pédestre

Le décret d’application du 9 mai 2020 apporte des précisions cruciales sur les modalités de mise en œuvre du forfait mobilités durables. Ce texte réglementaire confirme l’exclusion formelle de plusieurs modes de déplacement, incluant explicitement la marche à pied aux côtés des taxis, VTC et abonnements ferroviaires. Cette exclusion ne résulte pas d’un oubli législatif mais d’un choix politique assumé.

Les travaux préparatoires du décret révèlent que l’administration a considéré la marche comme un mode de déplacement naturel et universel ne nécessitant pas d’incitation financière spécifique. Cette approche s’appuie sur l’argument selon lequel la locomotion pédestre ne génère aucun coût direct pour l’utilisateur, contrairement aux autres modes de transport éligibles au forfait. L’État privilégie ainsi l’aide aux déplacements générant des frais identifiables et mesurables.

Cependant, cette vision restrictive fait abstraction des coûts indirects liés à la marche urbaine, notamment l’usure des chaussures, l’investissement dans des équipements adaptés ou encore le temps supplémentaire consacré aux déplacements. Les défenseurs de l’inclusion de la marche soulignent que ces éléments constituent des freins réels à l’adoption de ce mode de transport, particulièrement pour les trajets domicile-travail de longue distance.

Jurisprudence URSSAF et interprétations administratives sur la marche urbaine

Les organismes de recouvrement des cotisations sociales ont développé une doctrine administrative cohérente concernant l’application du forfait mobilités durables. L’URSSAF considère que seuls les modes de transport explicitement mentionnés dans le décret peuvent bénéficier des exonérations fiscales et sociales prévues. Cette interprétation stricte limite les possibilités de créativité juridique des entreprises souhaitant intégrer la marche.

Plusieurs décisions administratives récentes confirment cette approche restrictive. Les contrôles URSSAF menés auprès d’entreprises ayant tenté d’inclure la marche dans leur forfait mobilités durables ont systématiquement abouti à des redressements. Ces sanctions portent sur la réintégration des sommes versées dans l’assiette des cotisations sociales, accompagnée des pénalités de retard correspondantes.

Néanmoins, certaines situations particulières échappent à cette règle générale. Lorsque la marche constitue un complément indissociable d’un mode de transport éligible, comme dans le cadre de l’intermodalité, les organismes sociaux adoptent une approche plus nuancée. Cette tolérance administrative ouvre des perspectives intéressantes pour les entreprises créatives dans leur approche de la mobilité durable.

Comparaison avec les dispositifs européens : cas du Bike-to-Work allemand et du cycle to work britannique

L’analyse comparative des dispositifs européens d’incitation à la mobilité durable révèle des approches contrastées concernant la marche à pied. Le système allemand Bike-to-Work exclut également la locomotion pédestre mais propose des mécanismes alternatifs de valorisation de l’activité physique en entreprise. Ces programmes intègrent la marche dans une logique de prévention santé plutôt que de mobilité pure.

Le Royaume-Uni adopte une stratégie différente avec son programme Cycle to Work , qui, malgré son nom, inclut certaines formes de mobilité pédestre urbaine. Les employeurs britanniques peuvent financer des équipements de marche professionnelle, comme des chaussures techniques ou des vêtements de pluie, sous certaines conditions. Cette approche pragmatique reconnaît les coûts cachés de la mobilité pédestre.

Les Pays-Bas proposent le modèle le plus intégré avec leur système de mobiliteitsbudget , qui permet aux employeurs de financer tous les modes de déplacement doux, y compris la marche. Cette approche holistique s’appuie sur une logique de budget global mobilité plutôt que sur une liste restrictive de modes éligibles. Les résultats montrent une adoption massive de la marche utilitaire dans les zones urbaines denses.

Dispositifs de mobilité douce intégrant partiellement la marche à pied

Applications de comptage de pas éligibles : weward, StepBet et programmes corporate wellness

L’émergence des applications de comptage de pas ouvre de nouvelles perspectives pour la valorisation de la marche en entreprise. Des plateformes comme Weward ou StepBet permettent de monétiser l’activité pédestre quotidienne, créant un système d’incitation indirecte compatible avec les contraintes réglementaires du forfait mobilités durables. Ces solutions technologiques contournent habilement l’exclusion légale de la marche.

Les programmes corporate wellness intègrent de plus en plus la marche dans leurs dispositifs de prévention santé. Les entreprises peuvent financer des abonnements à ces applications ou proposer des défis collectifs de marche avec des récompenses financières. Cette approche détourne l’objectif initial du forfait mobilités durables tout en respectant son cadre juridique strict. L’innovation technologique permet ainsi de transformer la contrainte réglementaire en opportunité d’engagement des collaborateurs.

Cependant, ces dispositifs soulèvent des questions de confidentialité et de surveillance des données personnelles. Les entreprises doivent naviguer entre incitation à la mobilité active et respect de la vie privée de leurs salariés. Les solutions les plus abouties proposent des systèmes d’anonymisation des données tout en maintenant l’effet motivationnel du programme.

Mobilité multimodale marche + transport en commun : forfait navigo et abonnements régionaux

L’intermodalité représente le principal vecteur d’intégration de la marche dans les stratégies de mobilité durable. La combinaison marche + transports en commun permet aux entreprises de valoriser indirectement la locomotion pédestre tout en respectant le cadre réglementaire du forfait mobilités durables. Cette approche reconnaît que la plupart des trajets en transport public incluent des segments pédestres significatifs.

Les abonnements de transport régionaux intègrent de facto la marche d’approche et de sortie des stations. Les entreprises peuvent ainsi financer la totalité du trajet multimodal, incluant les portions pédestres, sous l’appellation transport en commun. Cette interprétation extensive du périmètre d’éligibilité bénéficie d’une tolérance administrative croissante.

Les données de l’Île-de-France montrent que 23% du temps de trajet en transport public correspond à de la marche d’approche ou de correspondance. Cette proportion significative justifie une approche intégrée de la mobilité urbaine. Les entreprises les plus innovantes développent des partenariats avec les autorités organisatrices de transport pour optimiser cette complémentarité.

Stationnement vélo et derniers kilomètres pédestres : parkings véligo et smovengo

L’infrastructure de stationnement vélo sécurisé constitue un maillon essentiel de la chaîne de mobilité durable. Les services comme Véligo ou les stations Smovengo créent des ruptures de charge qui nécessitent souvent un complément pédestre. Ces derniers kilomètres à pied peuvent être valorisés dans le cadre du forfait mobilités durables en tant que complément indissociable de l’usage du vélo.

Les abonnements aux services de stationnement vélo incluent implicitement la marche de rabattement entre le point de stationnement et la destination finale. Cette dimension intermodale permet aux entreprises de financer indirectement la mobilité pédestre tout en respectant la lettre du dispositif réglementaire. L’approche système prévaut sur la vision segmentée des modes de transport.

Les études de mobilité urbaine révèlent que 67% des utilisateurs de vélo effectuent un trajet pédestre complémentaire de plus de 300 mètres. Cette réalité terrain justifie une approche globale de la mobilité active. Les entreprises développent des programmes intégrés combinant financement du vélo, du stationnement et de l’équipement de marche urbaine.

Covoiturage avec marche d’approche : plateformes BlaBlaCar daily et karos

Les plateformes de covoiturage comme BlaBlaCar Daily ou Karos intègrent naturellement une dimension pédestre dans leurs parcours utilisateur. La marche d’approche vers le point de rendez-vous ou de dépose constitue une composante incontournable du covoiturage urbain. Cette réalité opérationnelle permet aux entreprises de valoriser la marche dans le cadre du forfait mobilités durables.

L’analyse des données de covoiturage révèle que la distance moyenne de marche d’approche s’établit à 450 mètres, représentant 6 à 8 minutes de trajet pédestre. Cette portion non négligeable du déplacement total peut justifier un financement spécifique d’équipements de marche urbaine. Les entreprises développent des partenariats avec les plateformes de covoiturage pour optimiser cette complémentarité.

Certaines solutions innovantes proposent des systèmes de micro-mobilité partagée pour les trajets d’approche du covoiturage. Ces dispositifs hybrides combinent marche, trottinette électrique et voiture partagée dans une logique de service intégré. L’approche servicielle transcende les limites réglementaires en proposant une solution de mobilité globale.

Solutions alternatives d’incitation à la marche en entreprise

Face aux contraintes réglementaires du forfait mobilités durables, les entreprises développent des stratégies alternatives pour encourager la marche de leurs collaborateurs. Ces approches détournées permettent de contourner l’exclusion légale tout en atteignant les objectifs de mobilité durable et de bien-être au travail. L’innovation organisationnelle se substitue ainsi à la souplesse réglementaire absente.

Les programmes de wellness corporate constituent la voie la plus développée pour valoriser la marche en entreprise. Ces dispositifs, financés sur les budgets de prévention santé plutôt que sur les enveloppes mobilité, échappent aux contraintes du forfait mobilités durables. Les entreprises peuvent ainsi proposer des primes d’activité physique, des challenges collectifs de marche ou des abonnements à des applications de fitness incluant la locomotion pédestre.

L’aménagement du temps de travail représente une autre approche prometteuse. Certaines entreprises accordent des créneaux horaires dédiés à la mobilité active, incluant explicitement la marche. Cette flexibilité temporelle valorise indirectement le temps consacré aux déplacements pédestres en le considérant comme du temps de travail effectif. L’approche qualité de vie au travail justifie cette innovation organisationnelle.

Les partenariats avec les collectivités locales ouvrent des perspectives intéressantes pour la promotion de la marche urbaine. Les entreprises peuvent cofinancer des aménagements piétonniers, des applications de guidage pédestre ou des événements de sensibilisation à la mobilité active. Cette approche territoriale dépasse le cadre strict de l’entreprise pour s’inscrire dans une logique d’écosystème local.

La créativité juridique et organisationnelle permet aux entreprises de contourner les limites réglementaires pour intégrer la marche dans leurs stratégies de mobilité durable.

Les systèmes de récompense non monétaire constituent une alternative efficace aux incitations financières directes. Les entreprises peuvent proposer des jours de congés supplémentaires, des places de parking privilégiées pour les marcheurs réguliers ou des services conci

ergerie pour les collaborateurs pratiquant régulièrement la marche urbaine. Cette approche non monétaire évite les contraintes fiscales et sociales du forfait mobilités durables tout en créant une culture d’entreprise favorable à la mobilité active.

Montage juridique pour intégrer la marche dans une stratégie RSE mobilité

Classification ICPE et bilan carbone scope 3 : comptabilisation des déplacements domicile-travail

Les entreprises soumises à la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) doivent intégrer les déplacements domicile-travail dans leur bilan carbone scope 3. Cette obligation réglementaire crée un cadre juridique favorable à la valorisation de tous les modes de transport durable, y compris la marche à pied. L’approche carbone transcende les limites du forfait mobilités durables pour englober l’ensemble des impacts environnementaux.

La méthodologie Bilan Carbone de l’ADEME reconnaît explicitement la marche comme un mode de déplacement à émissions nulles. Cette reconnaissance officielle permet aux entreprises de justifier leurs investissements en faveur de la mobilité pédestre dans une logique de réduction d’empreinte carbone. Les coûts engagés peuvent être imputés sur les budgets RSE ou développement durable plutôt que sur les enveloppes mobilité stricto sensu.

Les entreprises de plus de 500 salariés doivent publier un plan de mobilité employeur incluant des mesures de réduction des émissions liées aux déplacements. La promotion de la marche constitue l’un des leviers les plus efficaces pour atteindre les objectifs carbone. Cette obligation légale crée un cadre propice à l’innovation en matière d’incitation à la mobilité pédestre, en dehors des contraintes du forfait mobilités durables.

Accord d’entreprise sur le temps de travail et créneaux dédiés à la mobilité active

La négociation d’accords d’entreprise spécifiques au temps de travail offre des possibilités innovantes pour valoriser la marche urbaine. Ces accords peuvent prévoir des aménagements horaires favorables aux déplacements pédestres, comme des plages de travail étendues permettant d’éviter les heures de pointe. L’approche temporelle contourne les limitations financières du forfait mobilités durables.

Certaines entreprises expérimentent le concept de temps de mobilité active rémunéré, intégrant explicitement les trajets pédestres dans le temps de travail effectif. Cette innovation organisationnelle nécessite une renégociation des accords de temps de travail mais permet une reconnaissance directe de la marche comme activité professionnelle. L’approche qualitative se substitue à l’approche quantitative du forfait.

Les accords sur le télétravail peuvent également intégrer des clauses favorables à la mobilité pédestre. La réduction du nombre de jours de présence au bureau modifie l’équation économique des déplacements et rend les trajets pédestres plus attractifs. Cette approche hybride optimise la complémentarité entre travail à distance et mobilité active lors des jours de présence physique.

Partenariats avec mutuelles et programmes de prévention santé : MGEN, harmonie mutuelle

Les partenariats avec les organismes de protection sociale ouvrent des voies alternatives pour financer la promotion de la marche en entreprise. Des mutuelles comme MGEN ou Harmonie Mutuelle proposent des programmes de prévention santé incluant explicitement la mobilité active. Ces dispositifs échappent aux contraintes du forfait mobilités durables en s’inscrivant dans une logique sanitaire plutôt que de transport.

Les contrats de prévoyance collective peuvent inclure des forfaits wellness couvrant les équipements de marche urbaine, les applications de coaching ou les consultations en médecine du sport. Cette approche mutualiste distribue les coûts sur l’ensemble des adhérents tout en ciblant spécifiquement les pratiquants de mobilité active. L’effet de levier économique démultiplie l’impact des investissements entreprise.

Les études actuarielles montrent que chaque euro investi dans la promotion de la marche en entreprise génère 2,3 euros d’économies en frais de santé sur cinq ans. Cette rentabilité démontrée de l’investissement santé justifie des partenariats approfondis entre entreprises et organismes sociaux. Les programmes les plus aboutis intègrent suivi médical, coaching personnalisé et incitations financières dans une approche globale de bien-être au travail.

Perspectives d’évolution réglementaire et recommandations stratégiques

L’évolution du cadre réglementaire français concernant la marche à pied dans le forfait mobilités durables semble inéluctable face aux enjeux climatiques et sanitaires actuels. Les travaux d’évaluation menés par l’ADEME depuis 2022 pointent vers une reconnaissance progressive de la locomotion pédestre. Cette évolution s’inscrit dans la dynamique européenne de promotion de la mobilité active urbaine.

Les retours d’expérience des entreprises pilotes ayant contourné créativement les limitations réglementaires nourrissent les réflexions ministérielles. Ces innovations organisationnelles démontrent la faisabilité technique et économique de l’intégration de la marche dans les dispositifs d’incitation à la mobilité durable. Les résultats probants en termes de report modal et de satisfaction des collaborateurs plaident en faveur d’une évolution réglementaire.

En attendant cette évolution, les entreprises visionnaires peuvent anticiper en développant dès aujourd’hui des stratégies intégrées de mobilité active. L’approche systémique combinant forfait mobilités durables classique, programmes wellness et aménagements organisationnels maximise l’impact sur les comportements de déplacement. Cette stratégie d’anticipation positionne avantageusement les entreprises pour tirer parti des futurs dispositifs d’incitation à la marche urbaine.

La recommandation stratégique principale consiste à adopter une vision holistique de la mobilité durable dépassant les contraintes actuelles du forfait mobilités durables. Les entreprises les plus performantes construisent dès maintenant les briques organisationnelles et partenariales nécessaires à une intégration réussie de la marche dans leurs politiques de mobilité. Cette approche proactive transforme la contrainte réglementaire actuelle en avantage concurrentiel futur pour l’attraction et la rétention des talents sensibles aux enjeux environnementaux et de qualité de vie au travail.